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  • Photo du rédacteurCatherine DUMAS

L'école à l'épreuve de la laïcité : audition passionnante de Dominique Schnapper au Sénat


En commun avec la commission des Lois, la commission de la Culture dont je suis Vice-présidente, a entendu, dans le cadre des travaux préparatoires à l'examen du projet de loi confortant les principes de la République (dite loi sur les séparatismes), Dominique Schnapper, sociologue, présidente du Conseil des sages de la laïcité.


Cette instance, mise en place par Jean-Michel Blanquer en 2018, est chargée d’apporter une réponse aux différentes atteintes à la laïcité relevées dans les établissements.


Voici un résumé des échanges très riches de cette audition qui fut un moment de réflexion et d'analyse très enrichissant.


Le Président de la commission de la Culture, le Sénateur Laurent Lafon, a rappelé que ce comité des Sages ne se contentait pas de réfléchir aux rapports parfois difficiles qu'entretiennent le religieux et le politique au sein de la communauté éducative. Il veille aussi à éclairer de manière pragmatique les acteurs de l'éducation nationale en matière de laïcité. Le Conseil des sages de la laïcité a ainsi créé, en collaboration avec les services de l'éducation nationale, un vade-mecum destiné à apporter des réponses concrètes aux personnels éducatifs directement confrontés au fait religieux dans l'exercice de leurs fonctions.


Ses membres se rendent aussi sur le terrain pour former, études de cas à l'appui, les personnels de l'éducation nationale aux questions de la laïcité.


Dominique Schnapper a rappelé qu'en tant que sociologue, elle ne pense pas que ce projet de loi marque une évolution de la conception française de la laïcité, tout comme elle ne pense pas qu'il risque de porter atteinte à la liberté du culte.


La loi de 1905 a été conçue pour une Église catholique ayant le statut de puissance politique, l'Église unique organisant majoritairement la vie collective en France.


Selon elle, la société est, aujourd'hui, bien plus diverse par le degré de pratique et par un éclatement des croyances et des organisations religieuses. Elle est, en somme, moins religieuse dans l'ensemble, même si elle comprend des mouvements de retour, éventuellement extrémistes. Il faut prendre en compte cette nouvelle donnée qu'est la présence d'une forte proportion de la population musulmane, de l'ordre de 10 %.


Le problème est l'islam politique plutôt que l'islam lui-même, encore que certains islamologues soient plus nuancés en matière de rapport entre islam et islamisme. Elle pense qu'un islam de type religieux impose à la loi de 1905 des adaptations s'agissant des lieux de culte, des fêtes et du régime alimentaire. Elle est convaincue que ces problèmes peuvent être réglés par une adaptation de la loi de 1905.


Aujourd'hui, le problème est qu'il y a, désormais, derrière ces revendications au nom d'une religion, un véritable projet politique contestataire des valeurs démocratiques. L'an 2000 a constitué un moment charnière dans cette évolution.



Les différentes dispositions du projet de loi confortant les principes de la République lui paraissent répondre à un problème politique, et elle s'est réjouie du fait que le Président de la République n'ait pas remis en question la loi de 1905, car il ne s'agit effectivement pas d'un problème religieux. Elle a apprécié le nouveau titre positif du projet de loi, qui rappelle que la laïcité est un régime de liberté. Par ailleurs, faire passer les associations de loi 1901 sur le régime de la loi de 1905 lui semble naturel. Il est normal, non seulement de subordonner les subventions publiques aux associations à la signature d'une charte de la laïcité, mais, en outre, même sans subvention, de leur demander de respecter les lois communes.


Le problème de l'enseignement familial a été largement débattu et, à titre personnel, elle regrette le passage du contrôle a posteriori à l'autorisation préalable. Celle-ci constitue, néanmoins, une adaptation à une situation objective, notamment illustrée par les remontées du terrain. On observe, désormais, des pères qui, amenant leurs petites filles de 3 ans à l'école, donnent comme conditions qu'elles ne soient pas assises à côté d'un petit garçon.


L'islamisme extrémiste remet donc en question nos valeurs collectives - la démocratie, l'égalité hommes-femmes - ainsi que la primauté de la loi républicaine sur la loi religieuse.


Il est d'ailleurs frappant de constater que le problème se déplace vers l'école primaire, alors que le collège était jusqu'alors au cœur de la contestation. Il y a désormais une poussée organisée, notamment avec des avocats qui cherchent à entrer dans les établissements. Cela commence très tôt, dès la maternelle.



Selon elle, la laïcité est protectrice et émancipatrice, même si le mot ne figure pas dans la loi de 1905. Elle est la forme française, héritée de l'histoire, de la séparation du politique et du religieux, qui est constitutive de la démocratie et la distingue des autres régimes.


L'inégalité entre les hommes et les femmes est un problème central. Toutes les religions ont été fondées sur ce que l'on appelle, par politesse, la « complémentarité » entre les sexes : en fait, l'inégalité de statut entre les hommes et les femmes. Si la population musulmane tend à se rapprocher de la population française dans ses goûts et pratiques avec le temps, cette question reste un noyau dur. Les autres religions ne sont pas à l'abri.


Républicaine et libérale, elle pense qu'il est préférable de laisser la liberté aux parents de préférer l'instruction à domicile, dès lors qu'ils acceptent les contrôles de l'éducation nationale. Le problème est qu'une partie des filles ne sont plus instruites du tout, au nom de la liberté de l'enseignement en famille.



La laïcité est un héritage des Lumières et était portée, traditionnellement, par la gauche républicaine. Aujourd'hui, celle-ci se divise entre ceux qui prolongent cette tradition et ceux qui préfèrent l'identitarisme. C'est une des expressions de la crise de la pensée de gauche. La théorie de la déconstruction nous revient des États-Unis, alors qu'ils l'ont empruntée à la France. Cette théorie remet en question l'héritage des Lumières. Mais, fondamentalement, elle croit que, d'un point de vue politique, c'est ce dernier qui est à la fois juste et utile. Tout est affaire de construction sociale, l'essentiel est que celle-ci soit convenable !



Le séparatisme, c'est le moment où la loi particulière déclare primer sur la loi commune. C'est en somme le communautarisme : quand la loi de la communauté - parfaitement légitime en elle-même - prime sur la loi républicaine.

Les liens communautaires rapprochent ceux qui partagent une même origine historique, les mêmes convictions politiques, les mêmes croyances religieuses. C'est naturel, évident et souhaitable dès lors que ces liens s'inscrivent à l'intérieur de la loi commune.



Enfin au sujet des données quantitatives. Nous savons qu'il y a des dérives. Comme sociologue, elle a à la fois beaucoup de respect pour les chiffres et beaucoup de réticences à leur égard. L'évaluation du nombre d'atteintes à la laïcité suppose que le professeur accepte de les signaler, que le chef d'établissement accepte de les transmettre à l'inspecteur qui, ensuite, accepte de les signaler au rectorat qui, lui, les transmettra au ministère de l'éducation nationale... Bref, on ne sait pas au juste ce que mesurent ces chiffres. Quand les professeurs sont découragés, ils ne signalent plus : ils considèrent que cela ne sert à rien, et que cela les expose à des ennuis. Les chiffres sur les atteintes à la laïcité sont donc à prendre avec énormément de précautions.


L'Observatoire de la laïcité dit régulièrement que le nombre d'atteintes est faible et plafonne à 800 ou 900. En fait, on ne sait pas si le phénomène est marginal ou assez répandu pour justifier les interventions. Certes, il est sûrement minoritaire par rapport à la population concernée. Mais on sait depuis longtemps que les minorités actives ont parfois un pouvoir politique qui n'est pas proportionnel à leur répartition statistique : Hitler n'a jamais eu une majorité dans une élection. En tous cas, le quantitatif n'a que peu de sens. Certains épisodes, dans certains quartiers, peuvent avoir un sens politique qui dépasse de beaucoup leur représentation. Certes, la population musulmane, en majorité, accepte les lois républicaines. Cela n'enlève rien au problème politique que pose une minorité soutenue par l'extérieur. Nous devons donc prendre des décisions sans être tout à fait sûrs de la manière dont il faut les prendre.



Présentation de Dominique Schnapper :

Fille de Raymond Aron, Dominique Schnapper traite principalement de la sociologie historique, ainsi que des études sur les minorités, le chômage, le travail et la sociologie urbaine, et depuis les années 1990 aussi avec le concept de nation et de citoyenneté.


Elle a été membre du Conseil constitutionnel de 2001 à 2010, nommée par Christian Poncelet, alors président du Sénat.


Depuis les années 1980, elle est directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle est également présidente du Musée d’art et d’histoire du judaïsme et présidente de l’Institut d’études avancées de Paris [centre de recherche qui accueille des chercheurs du monde entiers dans les domaines des sciences humaines et sociales].


De 2016 à 2019, elle est présidente du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA).


En décembre 2017, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer la désigne pour devenir la présidente du Conseil des sages de la laïcité installé le 8 janvier 2018 et chargé de préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité.


Elle est commandeur de la Légion d’honneur.


Pour en savoir plus :


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